La Damnation de Caïn
Deux fermiers aiment la même femme, qui choisit l'un d'eux. Le prétendant rejeté se venge et provoque l'accident mortel de son rival.
Restauration 2K en 2023 par la Cinémathèque française à partir d'une copie nitrate teintée issue de ses collections. Travaux réalisés au laboratoire du CNC. Cette restauration s'inscrit dans le cadre du projet de recherche italien « Paesaggi e location del primo cinema italiano cent'anni dopo, 1896-1922 ».
« La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi. Maintenant tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. » (Genèse)
« Comme pour tous les cauchemars angoissants, attendons qu'il se soit coulé profondément dans les replis du sommeil afin qu'il ait du mal à en émerger quand il voudra à toute force se libérer. » (Dino Buzzati, Le Rêve de l'escalier)
La Dannazione di Caino (La Damnation de Caïn), tourné en 1911, est la restauration que nous avons retenue pour débuter notre collaboration avec le collectif de chercheurs qui étudie le paysage italien dans le cinéma muet des origines à 1922. Luigi Maggi, le metteur en scène de ce film particulièrement bien réalisé, accorde avant l'heure une place importante au naturalisme et au réalisme, offrant à son film des vues admirables de montagnes accidentées et des habitats traditionnels dans les hauteurs de Turin. Cela pourrait se justifier par un aspect de la narration, mais de toute évidence cette recherche du réalisme est une démarche artistique soigneusement étudiée pour justifier l'autre grand thème de son film : le fantastique. Ces deux formes esthétiques pourraient apparaître comme paradoxales, mais c'est justement cette opposition qui offre une véracité aux apparitions fantomatiques dans son œuvre. En effet, dans ce contexte réaliste, Luigi Maggi montre les hallucinations terrifiantes du frère mort, fantôme vengeur que seul l'esprit torturé de Caïn perçoit. Empruntés au jeu de surimpressions rudimentaires développé par Georges Méliès, ces effets visuels ancrés dans le réel offrent une toute autre impression, autrement plus angoissante et dérangeante que les féeries fantaisistes et les fantasmagories enjouées de Méliès.
Avec ce film court, adaptation de l'histoire de Caïn et Abel issue de la Genèse, Luigi Maggi aborde d'innombrables thèmes qui seront développés tout au long de la grande histoire du cinéma italien : la rivalité amoureuse, la jalousie, la culpabilité, la folie et la mort, thématiques inspirées certes par des sujets bibliques mais aussi par la tragédie théâtrale de l'Italie antique. Avec ces spectres inquiétants, on retrouve dans ce film les premières figures menaçantes des morts qui reviennent nous hanter. Ces visions cauchemardesques filmées par Luigi Maggi au début du siècle sont les balbutiements d'œuvres plus tardives du cinéma fantastique italien. On pense entre autres aux Trois visages de la peur de Mario Bava et à Danse macabre d'Antonio Margheriti, deux films restaurés dernièrement par la Cinémathèque, qui reprennent des années plus tard ces mêmes effets spéciaux sans en rajouter. Dans cette même veine fantastique, notons aussi que Luigi Maggi, acteur et réalisateur prolifique du début du cinéma muet, produit par la société turinoise Ambrosio Film, réalisa aussi en 1912 Satana (Il Dramma dell'umanità), inspiré de la littérature fantastique et des portraits maléfiques.
Avec cette version de l'histoire de Caïn, Luigi Maggi écrit un drame contemporain en s'inspirant du premier meurtre de l'humanité. Il conserve l'origine paysanne des deux frères et s'attarde sur l'environnement rocailleux, rustique et authentique du décor, accorde une dimension singulière aux regards des personnages : on suit celui, épris, que Caïn porte sur la jeune fille, celui qu'il pose, jaloux, sur son frère, et on s'attarde sur les yeux de la jeune fille tournés vers l'horizon, filmé avec une profondeur de champ inégalable. Ce regard tourné vers le lointain s'oppose ensuite à celui dans le vide de Caïn, lorsqu'il est poursuivi par l'apparition du fantôme de son frère.
Le film, dans une forme narrative classique du cinéma muet, se construit sur une réflexion esthétique subtile, soulignant la créativité exigeante de son auteur.
Hervé Pichard
Paesaggi e location del primo cinema italiano cent'anni dopo, 1896-1922
Le projet de recherche inter-universitaire « Paesaggi e location del primo cinema italiano cent'anni dopo, 1896-1922 » (« Paysages et lieux des premiers films italiens cent ans plus tard, 1896-1922 ») dans lequel s'inscrit cette restauration est soutenu par le ministère italien de l'Université et de la Recherche, et mené par quatre universités italiennes :
- Università di Torino (Prof. Silvio Alovisio)
- Università degli Studi di Roma Tor Vergata (Prof. Luca Mazzei)
- Università Iuav di Venezia (Prof. Marco Bertozzi)
- Università degli Studi di Padova (Prof. Farah Polato)
Il vise à analyser la représentation du paysage italien dans le cinéma muet international de fiction et de non-fiction de 1896 à 1922 à travers la reconnaissance des lieux. L'étude des images des films de cette période sera principalement menée par des historiens et des urbanistes. Une base de données offrant de nombreuses informations sur les lieux de tournages et leur représentation sera créée afin de partager cette documentation, et proposera des liens vers différents sites pour visionner les films.