L'Accordeur
Andreï, un accordeur de pianos qui peine à subvenir aux besoins de sa compagne, gagne la confiance de deux riches veuves afin de les escroquer.
Film sélectionné à la Mostra de Venise en 2004. Nika 2005 : prix de la meilleure réalisatrice, de la meilleure actrice et de la meilleure actrice dans un second rôle. Remerciements au Centre national Oleksandr Dovzhenko (Oleksandr Teliuk et toute son équipe), Anna Koriagina, Jenny Prygunova, Eugénie Zvonkine, François Minaudier.
Alors que les nouvelles des crimes commis par l'armée russe en Ukraine sont chaque jour plus insoutenables, alors qu'Odessa a été bombardée le 3 avril 2022, voici venu un autre film tourné dans cette ville précisément, dans les années 2000. L'Accordeur de Kira Mouratova (2004) est une œuvre d'une grande douceur, remplie jusqu'à la moelle d'émotion et d'humanité. La cinéaste avait appelé avec affection ses deux premiers longs, Brèves rencontres (1967) et Les Longs adieux (1971), des « mélodrames provinciaux ». Ce film-ci, tourné dans l'Ukraine indépendante, aurait pu former un trio avec les deux premiers. Le scénario est écrit par Sergueï Tchetvertkov avec la collaboration de Kira Mouratova et Evgueni Goloubenko, à partir du recueil de nouvelles d'Arkadi Kochko, ancien chef de la police tsariste.
Cette déambulation ludique dans une ville atemporelle, filmée en noir et blanc, raconte les aventures d'un charismatique escroc et de sa compagne, ainsi que de deux dames aussi désuètes que charmantes, vouées à devenir leurs victimes. L'une des deux, Liouba, est jouée par Nina Rouslanova, l'une des actrices fétiches de Mouratova. Le rôle de Lina, la compagne de l'accordeur, est tenu par Renata Litvinova, avec qui la cinéaste collabore de près depuis Passions (1994). Enfin, c'est Gueorgui Deliev, le directeur de la troupe odéssite Maski-show, qui interprète le rôle principal.
Comme toujours, nous retrouvons le chapelet de marginaux et de visages familiers tant aimés et si bien filmés par Mouratova dans toute son œuvre. Comme toujours, nous nous laissons emporter et griser par le rythme des voix et des cadres, qui s'entremêlent et s'entrechoquent avec musicalité.
Et comme dans ses premiers films, la cinéaste sait nous saisir tout entiers au gré de l'émotion de ses personnages, leurs tremblements, leurs espoirs et leurs déceptions. Comme ce premier plan qui ouvre le film et où la coiffe toute en perles de Liouba, ainsi que les franges des petites annonces devant lesquelles elle déambule, trépident au diapason de son émoi.
Eugénie Zvonkine