Oh, oh, oh, jolie tournée !
Jacques Rozier suit la tournée de Bernard Ménez en 1984 après le succès surprise de sa chanson Jolie poupée.
À partir d'un support vidéo timecodé en la possession de Jacques Rozier, un travail de postproduction a été effectué en 2001 sous la supervision du réalisateur à l'occasion de sa rétrospective au Centre Pompidou. L'élément résultant de ce travail a été numérisé par la Cinémathèque française au laboratoire Hiventy en 2021. Remerciements chaleureux à Bernard Ménez, Jacques Rozier et Michèle Berson.
Et c'est à ce moment-là qu'il débarque, celui qui trouve ma Jolie poupée tordante (selon lui) et qui décide de tout immortaliser, le merveilleux Jacques Rozier. Son documentaire s'intitule Oh, oh, oh, jolie tournée !, un cinquante-cinq minutes quasi inédit, je le crains, aujourd'hui encore. Jacques a envie de filmer les coulisses, la dernière du Podium Europe 1, et les réactions du public. Il veut l'envers du décor et, comme il sait très bien l'exprimer pour justifier ce désir irrésistible de me retrouver en Bretagne : « Ménez présenté par Drucker et chantant devant des milliers de personnes, c'était trop drôle... L'école de danse de samba se moquait de Ménez et de Jolie poupée. Ils avaient inventé une version pornographique de la chanson et, lorsque Ménez chantait, deux danseuses dans les coulisses mimaient... enfin je vous laisse deviner... » L'une des danseuses s'appelle Rosa-Maria Gomes. Jacques Rozier n'est jamais là par hasard, et avec l'école de samba et la danseuse irrévérencieuse et mon profil de contrôleur de la SNCF (comme il le dit), et mes velléités de chanteur, il songe, il médite, il pense à ce qui va devenir l'un de ses plus beaux films, le plus délicatement désespéré, celui qu'il va bientôt tourner, Maine Océan.
Bernard Ménez
Entretien avec Bernard Ménez
Comment avez-vous rencontré Jacques Rozier ?
En 1969, j'étais professeur de mathématiques et de physique-chimie. Un peu découragé de ne pas réussir à gagner ma vie uniquement grâce au théâtre, j'ai décidé de prendre un nouveau départ et j'ai acheté des billets pour le Canada. Deux semaines avant mon départ, on me propose de rencontrer Jacques Rozier, qui cherchait quelqu'un pour son film Du côté d'Orouët. J'y suis allé sans trop y croire, puisque je partais bientôt, mais Jacques m'a fait revenir une seconde fois. Sans me le dire, il avait demandé aux trois actrices choisies pour le film de se cacher dans une pièce à côté et de m'observer pour avoir leurs avis. Je n'ai pas compris l'intérêt de ce rendez-vous qui ressemblait au premier. La veille de mon départ, Jacques m'invite chez son amie Arlette Didier. J'avais fait une croix sur le film et étais prêt à partir, mais pour être sûr de ne rien regretter, je m'y suis rendu. Une femme s'est précipitée sur moi pour me lire les lignes de la main et elle me dit qu'elle voit un grand voyage et qu'il ne fallait pas partir. J'allais sortir, alors Jacques me retient et me dit : « Ne partez pas, vous faites le film, c'est sûr ! » J'ai donc annulé mon voyage. Je me suis précipité à la Cinémathèque pour voir Adieu Philippine et j'ai découvert que Jacques avait beaucoup de talent !
Comment Jacques Rozier avait-t-il l'habitude de travailler ?
Il n'y avait pas de scénario au départ, il nous donnait les scènes la veille ou le jour même. Comme j'ai une mauvaise mémoire, ça m'arrangeait bien, parce que je n'étais pas responsable de ne pas connaître mon texte. J'avais confiance en lui et je faisais ce qu'il me disait de faire.
Quelle était la place de l'improvisation sur le tournage de ses films ?
Je dirais 50-50. L'improvisation était permanente mais les directives très précises, on tournait souvent les scènes plusieurs fois.
Vous avez tourné dans deux longs métrages de Jacques Rozier, une série et plusieurs courts métrages. Qu'est-ce qui vous a particulièrement marqué dans ces diverses expériences ?
Les deux longs métrages m'ont marqué. Lorsque Du côté d'Orouët a été présenté à la Cinémathèque française [le 11 juin 1971], il y avait du monde partout. C'était impressionnant, la salle était pleine à craquer et il y avait des gens sur les marches. Je me suis demandé ce qu'il se passait, j'attribuais ça au succès de Jacques Rozier et à sa notoriété en tant que pilier de la Nouvelle Vague. Avant la projection, Henri Langlois est arrivé et il a parlé pendant 30 minutes de Jacques Rozier et de son travail, il était dithyrambique ! C'est grâce à ce film que j'ai tourné pour François Truffaut dans La Nuit américaine et pour Pascal Thomas dans Pleure pas la bouche pleine.
Quel était ce spectacle que l'on voit dans ce film Oh, oh, oh, jolie tournée ?
Il s'agissait du Podium Europe 1 de 1984. J'ai été invité à participer à cette tournée itinérante pendant 15 jours au côté de Linda de Suza et de Claude Barzotti. Le spectacle, présenté par Michel Drucker, était clôturé par l'école de samba brésilienne.
L'idée de ce tournage improvisé venait de Jacques ou de vous ?
Ça venait de Jacques et je ne savais même pas ce qu'il voulait faire avec ces images. Il promenait sa caméra vidéo partout. Il a été impressionné par le succès de la chanson, je pense que ça l'a beaucoup amusé. Michel Drucker était admiratif de son travail. Jacques sentait qu'il était en confiance et qu'on le laisserait faire ce qu'il voulait.
Qui a écrit la chanson Jolie poupée ?
En 1977, j'avais fait un premier 45 tours. À l'époque, Simone Veil faisait sa campagne antitabac et la maison Polydor m'a proposé de faire une chanson. Le parolier Jacques Lanzmann m'en a écrit deux : J'aime pas les filles qui fument et Le Tour du monde en 80 femmes. À la suite de ce premier 45 tours, on n'a pas arrêté de m'envoyer des chansons, j'ai refusé car je ne voyais pas l'urgence d'en faire un second, vu le succès mitigé du premier. En attendant, je chantais de l'opérette et même du Offenbach, je me débrouillais pas mal. En 1983, Marc-Fabien Bonnard, qui me harcelait en me proposant des chansons que je refusais systématiquement, me fredonne Jolie poupée au téléphone. Je lui ai répondu : « Ah ça, pourquoi pas... » J'ai été attiré par le rythme, la biguine et les paroles humoristiques. Marc-Fabien Bonnard a d'ailleurs écrit les paroles de l'opérette dans la série de Rozier Joséphine en tournée.
Comment cette chanson a-t-elle marqué votre carrière ?
La chanson a pris son essor dans une émission de Guy Lux. Elle avait été programmée sur le générique de fin, mais à la répétition il l'a trouvée mieux que ce qu'il pensait et l'a mise au générique de début. Ce qui était mieux, même si la chanson a été coupée. Les ventes ont commencé à décoller. Guy Lux m'a fait revenir dans son émission Cadence 3, qui mettait en compétition des nouveaux talents. J'ai gagné et je suis revenu la semaine suivante ! Les ventes du disque se sont envolées à tel point qu'à Noël je vendais autant de disques que Karen Cheryl. À l'époque j'étais numéro 1 au hit-parade à égalité avec Street Dance et devant Michael Jackson. Cette chanson m'a apporté un complément de notoriété important auprès du public. Ça m'a aidé à avoir de gros succès au théâtre, mais j'ai toujours eu l'impression que ça a pu empêcher de grands metteurs en scène de me prendre au sérieux.
Quel est le lien entre Oh, oh, oh, jolie tournée et le « roi de la samba » de Maine Océan ?
Un an après, le producteur de Maine Océan, Paulo Branco, a donné carte blanche à Jacques Rozier pour faire un film. Jacques a eu l'idée d'une aventure avec deux contrôleurs dans un train (Luis Rego et moi), une danseuse, que l'on voit à la fin de Oh, oh, oh, jolie tournée, une avocate et un marin pêcheur. J'ai d'ailleurs toujours pensé qu'Yves Afonso aurait mérité le prix d'interprétation plus que moi, sa performance en marin pêcheur était extraordinaire. Le scénario n'était pas entièrement écrit, Jacques avait eu l'idée de rejoindre ce groupe de danseurs vendéens. Avec eux, on a tourné la séquence du « roi de la samba », il avait dû être inspiré par le Podium Europe 1. Le tournage de cette séquence a duré toute la nuit, c'était interminable ! Rosa-Maria Gomes, qui joue la danseuse, était parfaite pour Jacques, elle jouait tout ce qu'il lui demandait.
Propos recueillis par Noémie Jean en octobre 2022 en vue de la programmation du film sur HENRI.
Paroles de « Jolie poupée »
Oh, oh, oh, jolie poupée
Sur mon doigt coupé
Oh, oh, oh, jolie poupée
Tu me fais chanter
Y'a des marteaux du stylo, intellectuels
Moi j'ai du stylo partout, j'suis un manuel
J'tape sur un clou, j'me tape sur les doigts
J'coupe un bout d'bois, j'me coupe un bout d'doigt
Heureusement j'ai tout prévu en pareil cas
Sous la main j'ai du coton, du sparadrap
Oh, oh, oh, jolie poupée
Sur mon doigt coupé
Oh, oh, oh, jolie poupée
Tu me fais chanter
Oh, oh, oh, jolie poupée
Sur mon doigt coupé
Oh, oh, oh, jolie poupée
Bobo pas pleurer
Un peu d'alcool, pas trop t'imbiber
Biberon à 90 degrés
Pas t'affoler, je veux pas t'saouler
Bien que tu sois une jolie poupée
Oh, oh, oh, jolie poupée
Sur mon doigt coupé
Oh, oh, oh, jolie poupée
Tu me fais rêver
Ma jolie fleur exotique dans l'île Saint D'nis
Mon oiseau d'la Martinique a fait son nid
J'commence, j'biguin, je danse la biguine
Je bois du punch, ça me donne du punch
Passe-moi l'poivre et la cannelle, c'est bon, c'est fou
Ça va faire des étincelles dans les bambous
Oh, oh, oh, jolie poupée
Sur mon doigt coupé
Oh, oh, oh, jolie poupée
Tu me fais danser
Faut pas m'laisser dans cet état-là
J'fais des bêtises dès qu'tu n'es pas là
Moi c'qui me fait mal, c'est quand j'pense à toi
Toi, tu ne penses qu'à mon petit doigt
Oh, oh, oh, jolie poupée
Sur mon doigt coupé
Oh, oh, oh, jolie poupée
Viens me retrouver
Oh, oh, oh, jolie poupée
Sur mon doigt coupé
Oh, oh, oh, jolie poupée
Tu me fais danser
Oh, oh, oh, jolie poupée
Sur mon doigt coupé
Oh, oh, oh, jolie poupée
Tu me fais rêver
Oh, oh, oh, jolie poupée
Sur mon doigt coupé
Oh, oh, oh, jolie poupée
Tu me fais danser...
(Paroliers : David Martial / Marc-Fabien Bonnard – 1983)