Los Diablos azulesAu pays des diables bleus
En 1907, dans le Nord du Chili, 3 600 ouvriers des mines de salpêtre sont assassinés par le gouvernement militaire dans le port d'Iquique, où ils étaient venus faire grève. Aujourd'hui, dans une ville fantôme, une madone endeuillée reprend une cantate populaire racontant ces événements, puis rejoint un groupe de divas pour crier avec elles leur douleur révolutionnaire.
Film réalisé dans le cadre du cursus du Fresnoy - Studio national des arts contemporains, promotion Manoel de Oliveira (2015-2017). Accompagnement artistique João Pedro Rodrigues. Remerciements à Charlotte Bayer-Broc et, au Fresnoy, à François Bonenfant, Natalia Trebik et Sarah Fraile.
Le geste héroïque de ces premiers révolutionnaires d'Iquique a été raconté en 1969, un an avant l'élection de Salvador Allende, par Luis Advis, dans la Cantata de Santa María de Iquique, une longue complainte qui alterne, dans la tradition didactique marxiste, des descriptions historiques parlées, des chants partisans et des lamentos inspirés de la musique traditionnelle andine. Dans Los Diablos azules, Charlotte Bayer-Broc adapte cette cantate en deux temps. Elle incarne d'abord une madone endeuillée qui traverse seule la ville minière abandonnée. Dans ce décor de western désolé, un duel se dessine entre la mémoire et l'oubli, entre la fragilité de la voix et l'immensité du désert, pour arracher le lieu à sa muséification, pour raviver la lutte, pour peupler cette solitude des chants d'hier et de demain. Ce n'est qu'une fois brandi un drapeau de la paix déjà tâché du sang des ouvriers que l'héroïne pourra, comme les grévistes du début du XXe siècle avant elle, descendre au port, où l'attendent d'autres femmes prêtes à répandre avec elle la nouvelle de la douleur. Tandis que le récit prend une tournure tragique, avec l'enfermement des ouvriers dans l'école où l'armée les exécuta, c'est une autre communauté qui se forme, celle des quatre conteuses à l'allure de divas camp. Liées par la tragédie de l'histoire et le sentiment d'une perte infinie, elles deviennent à la fois un chœur de lamentations traditionnelles et un improbable girls band, pour énoncer ensemble la promesse de nouvelles formes de luttes.
Olivier Cheval
Le premier lieu de formation de la pensée sensible, critique et politique de Charlotte Bayer-Broc fut le cinéma. Loin des séductions de l'image, ce qui l'a toujours intéressée dans les films, c'est la puissance du plan – de la durée, de la parole, des visages, des gestes – dans lequel se révèle la densité d'un corps emprisonné dans un réel inextricable. Après des études théoriques de littérature et de cinéma, elle intègre les Beaux-Arts de Paris en 2011. Son travail vidéo articule des lieux d'images, de l'intimité des maisons à l'immensité des paysages, avec des histoires intimes et collectives qui bordent tout grand récit. Il s'agit toujours pour Charlotte Bayer-Broc de révéler une violence enfouie, de former des narrations nouvelles à partir d'événements perdus. En 2014, après une année d'échange à Santiago du Chili, elle réalise un premier moyen métrage, Mundos inmundos, sélectionné au FID Marseille. Le film suit un groupe de punks errant comme des somnambules dans un Chili dépeuplé et fantomatique. Aujourd'hui en post-diplôme au Fresnoy – Studio national des arts contemporains, elle continue d'explorer le Chili et son histoire mineure.
https://www.lefresnoy.net/fr/Ecole/etudiant/30/charlotte-bayer-broc