Trois tristes tigres
À Santiago, quelques jours dans la vie de trois personnages ordinaires – un frère, sa sœur et un ami – qui cherchent à tromper la vacuité de leur existence.
Film restauré en 2K par l'Association des amis de Raoul Ruiz avec le soutien du Conseil national de la culture et des arts du Chili.
« Dans Trois tristes tigres, j'ai cherché à traduire ce que vivaient les gens de mon âge à cette époque. Nous passions le plus clair de notre temps dans les bars, et il m'est venu l'idée de faire du bar une métaphore de la circularité du temps, de la sensation que toutes les journées étaient les mêmes et que l'on pouvait se réveiller un beau matin âgé de 70 ans sans que rien ne se soit passé. Il y avait beaucoup de références, mais bien plus littéraires que cinématographiques. J'ai emprunté à Gens de Dublin de Joyce la façon de mener un récit en laissant les éléments importants en toile de fond pour mettre au premier plan des détails apparemment insignifiants. Je me souviens que quand je regardais des Hitchcock, j'aimais beaucoup la présence de personnages en marge du récit, qui apparaissaient subitement sans n'avoir rien à voir avec l'histoire. Dans ses films, il y a toujours quelqu'un pour regarder fixement la caméra, puis disparaître. » (Raoul Ruiz, entretien avec René Naranjo)
Trois tristes tigres, le premier long métrage de Raoul Ruiz, sort à Santiago en novembre 1968. Au cinéma Bandera, la soirée de première réunit autour de Ruiz les interprètes du film, le dramaturge Alejandro Sieveking – jeune auteur de la pièce dont le film est supposé être l'adaptation – et, détonnant quelque peu dans le tableau, trois hommes d'âge mur en uniforme de la marine marchande. Les capitaines Serafín Selanio, Enrique Reimann et Ernesto Ruiz, le père du jeune cinéaste, avaient créé la société Los Capitanes pour produire le film – et s'assurer que Raoul, auteur jusque là de trois tentatives cinématographiques inachevées, parviendrait cette fois à ses fins. Le résultat est là : film rugueux, sourdement labyrinthique, qui joue brillamment avec les particularismes de langage et d'attitudes de la capitale, Trois tristes tigres incarne à sa sortie l'espoir d'un nouveau cinéma chilien – à rebours complet d'une tendance à la glorification complaisante de l'identité nationale. En 1969, le film est sélectionné en compétition à Locarno. Pour se donner l'air sud-américain, Raoul Ruiz se laisse pousser la moustache qui ne le quittera plus. Trois tristes tigres remporte le Grand prix.
Nicolas Le Thierry d'Ennequin