Le Champignon des Carpathes
Ophélie, jeune comédienne, est sauvée in extremis d'un accident survenu dans une centrale nucléaire. Irradiée, elle est soignée par son frère Robert au moyen d'un curieux champignon découvert lors de la catastrophe.
Grâce à Marie Bodin, la productrice du film, la Cinémathèque a retrouvé les négatifs Super 16 mm du Champignon des Carpathes en 2013 pendant la préparation de la rétrospective consacrée à Jean-Claude Biette. Anecdote amusante : en ouvrant les boîtes, des traces de moisissures, heureusement superficielles, se développaient sur les négatifs. Des champignons ? Il était donc plus que temps de se préoccuper du film, devenu invisible. Les négatifs ont été numérisés et restaurés par la Cinémathèque française aux laboratoires Hiventy. Remerciements à Weimar.
Cofondateur avec Serge Daney de la revue Trafic, Jean-Claude Biette était, pour reprendre les mots de Marc Chevrie, « ce somnambule qui topographiait l'invisible et pénétrait ses arcanes. Il était dans le secret du cinéma. Il entrouvrait la porte ». Ceux qui ont connu Jean-Claude Biette insistent sur son caractère mystérieux. Mais mystérieux sont aussi ses films, dans ce qu'ils racontent de fantastique et dans ses choix singuliers de mise en scène. Ainsi, Le Champignon des Carpathes, réalisé neuf ans après Loin de Manhattan, est devenu un objet rare et pourtant caractéristique de sa vision du monde. L'histoire se déroule après une catastrophe nucléaire tandis que les retombées radioactives effraient la population. La plupart des personnages partagent au quotidien leur passion pour la littérature, et surtout le théâtre. Le royaume shakespearien se confond avec le quotidien ordinaire. Le metteur en scène (Howard Vernon) attend la guérison d'Ophélie, comédienne irradiée. Le champignon des Carpathes, cet objet fantasmatique qui guérit de tout, passera de main en main pour soulager les peines et rassurer. La contamination est le sujet central du film. Réalisé trois ans après la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le film fait aussi discrètement allusion au sida. L'un des personnages (Tonie Marshall) dira : « Cette fleur que j'aimais, je ne pourrai plus jamais la regarder, tout ça parce qu'un certain vendredi, un vent d'ouest s'est mis à souffler du poison mortel. » Et plus loin : « Aujourd'hui, tout le monde me ment, le gouvernement, les aliments, le bâtiment, les vêtements, les compliments, les armements, tout est boniment, constamment. Même mon amant ment. »
Hervé Pichard