Jean-Claude Biette

La Partenza

Jean-Claude Biette
Italie / 1968 / 12:03 / VO italienne avec sous-titres français en option
Avec Giuseppe Bertolucci, Gianluigi Calderone.

Une rue jonchée de papiers. Les jambes des passants. Un jeune homme traverse la rue. Puis on le retrouve en pleine discussion avec un ami. « Tu es toujours décidé à partir ? – Oui, je pars aujourd'hui à dix sept heures en avion. »

Film restauré en 2010 à partir des éléments 16 mm déposés par Jean-Claude Biette à la Cinémathèque française.


Jean-Claude Biette quitta la France à vingt-trois ans sans prévenir sa famille afin d'échapper au service militaire. Au-delà de cet âge, il n'était plus possible de bénéficier de « sursis » sous prétexte d'études. La guerre d'Algérie était finie lorsqu'il s'enfuit en « insoumis » à l'automne 1965, mais le service national obligatoire durait encore seize mois. Le futur auteur du Théâtre des matières (son premier long métrage, de 1977) et de Saltimbank (son dernier, de 2003) a dû se refuser à théâtraliser son homosexualité ou à jouer à l'asocial devant un psychiatre afin de se faire « réformer », comme il était d'usage lorsqu'on refusait de perdre un an et demi de sa vie « sous les drapeaux » ; en marge de tous ces mots officiels de l'administration militaire, aujourd'hui disparus de la vie des jeunes Français, il a très probablement aussi simplement désiré fuir, avoir une bonne raison pour émigrer, rejoindre l'Italie (il resta quatre ans à Rome et n'en repartit que fin 1969), s'exiler, partir pour partir. Cet épisode fondamental de la vie de Jean-Claude Biette est au fond le sujet de La Partenza, que l'on pourrait donc traduire « le départ », « la partance », « le partir », voire même, s'il on en croit une présentation de 1974 manifestement due à l'auteur : Avant de partir.

Le « en partance » du jeune homme qui parle à un ami se fait depuis un territoire situé : Parme et sa région. On l'entend à son accent, à l'allusion à son attachement à Casarola et Parme, à son air de famille aussi : il est joué par Giuseppe Bertolucci, amené à devenir cinéaste – quoique moins célèbre que son frère cadet, Bernardo. Il est surtout le fils du poète et organisateur du ciné-club de Parme Attilio Bertolucci, ami de Pier Paolo Pasolini, dont Biette était devenu le professeur de français occasionnel, l'assistant et le sous-titreur de certains de ses films. La « mission pacificatrice » coloniale en Algérie à laquelle Biette a réussi à échapper entre sa dix-huitième et sa vingtième année en repoussant l'incorporation dans l'armée devient ici la Tunisie socialiste de Bourguiba, vers laquelle un jeune enseignant en rupture de ban désire se rendre pour enseigner à des enfants.

La Partenza fait partie des quatre courts métrages italiens de Jean-Claude Biette. D'une part, il forme un diptyque de fictions italiennes pauvres avec Ecco ho letto (T'as vu, j'ai lu), de 1966 : quelques amis ne jouant pas exactement leur propre rôle, un coin de ville, des répliques improvisées, une application à ne pas laisser prendre une fiction comme on le dit d'une mayonnaise ou bien au contraire de juxtaposer des fictions express, deux exercices de « figuration libre », comme le dit le livre savant de Pierre Léon (Capricci, 2013). D'autre part, il s'inscrit dans une trilogie de portraits tous tournés en 1968 : Attilio Bertolucci et Sandro Penna sont les portraits de deux grands poètes italiens. La Partenza, en ce sens, est le portrait du fils du premier et le portrait caché (sous la phénoménologie d'une fuite) d'un fils prodigue de sentiments élevés ainsi que d'un poète de la vie. Ce film est la revendication à peine susurrée que la poésie existe dans le sentiment d'une banalité de la vie, dans la richesse démonique d'une pauvreté d'actions endiablées.

Hervé Joubert-Laurencin


Pour en savoir plus, lire aussi Jean-Claude Biette : Appunti & contrappunti, sous la direction d'Hervé Joubert-Laurencin, Pierre Eugène et Philippe Fauvel, De l'incidence éditeur, 2018.